Remédier à l'empreinte écologique du commerce électronique
Alors que le commerce électronique continue sa croissance exponentielle, il est essentiel d’examiner ses conséquences sur l'environnement. Shamika N. Sirimanne explore la manière dont les gouvernements, le secteur privé, les consommateurs et la communauté internationale au sens large peuvent œuvrer de concert pour élaborer des solutions permettant d’équilibrer la croissance économique et la durabilité.
Le paysage du commerce mondial s’est profondément transformé depuis l’an 2000, le nombre d’acheteurs en ligne passant de moins de 100 millions à plus de 2 milliards en 2021. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement estime que la valeur totale des ventes en ligne des entreprises passera de 17 000 milliards USD en 2016 à 27 000 milliards USD en 2022, sur la base des 43 économies développées et en développement représentant 60 % du PIB mondial et pour lesquelles des données sont disponibles.
L’évaluation de l’impact environnemental du commerce électronique n’est pas chose aisée, notamment en raison de la rareté, voire de l’absence de données fiables.
La plupart de ces ventes ont lieu au niveau national, mais le commerce électronique international se développe. Dans le même temps, la transition vers le commerce électronique ne fait que commencer dans la plupart des pays en développement, en particulier dans les pays les moins avancés. Comme le souligne le Digital Economy Report 2024 de la CNUCED, le commerce électronique bouleverse les modèles commerciaux, les processus économiques et les modes de consommation, apportant avec lui à la fois des opportunités et des défis pour la durabilité environnementale. L’évaluation de l’impact environnemental du commerce électronique n’est pas chose aisée, notamment en raison de la rareté, voire de l’absence de données fiables. Toutefois, l’effet global dépend en grande partie de la manière dont les entreprises gèrent les opérations clés telles que l’entreposage, le transport, la logistique, l’emballage et le traitement des retours.
La facilité des achats en ligne a stimulé le consumérisme. Si l’on ajoute à cela les exigences logistiques liées à la livraison des marchandises, l’empreinte écologique du commerce électronique est considérable : émissions de carbone dues au transport, augmentation des déchets d’emballages individuels et taux de retour élevé.
Pas seulement des déchets et des émission de carbone
L’entreposage est un élément essentiel de la chaîne d’approvisionnement du commerce électronique qui contribue à l’empreinte écologique. Les centres de distribution, surtout lorsqu’ils sont situés à la périphérie des villes en raison de contraintes d’espace et de coût, augmentent la distance que les marchandises doivent parcourir pour atteindre les consommateurs, ce qui exacerbe les émissions de carbone. Ces installations consomment également de grandes quantités d’énergie pour l’éclairage, le chauffage et le refroidissement, ce qui contribue encore à leur impact sur l’environnement.
L'entreposage est un élément essentiel de la chaîne d'approvisionnement du commerce électronique qui contribue à l'empreinte écologique.
L’emballage est une autre caractéristique de l’empreinte du commerce électronique. Les achats en ligne nécessitent davantage d’emballage que la vente au détail traditionnelle, ce qui implique souvent plusieurs couches de matériaux destinés à protéger les produits pendant le transport. Cela a entraîné une augmentation des déchets d’emballages, dont une grande partie est constituée de plastique, qui est difficile à recycler et contribue à la pollution des sols et des océans.
Les défis environnementaux du commerce électronique ne se limitent pas aux émissions de carbone et aux déchets. Le besoin de rapidité sur le marché numérique entraîne une demande pour des livraisons plus rapides, impliquant souvent le transport aérien, qui est beaucoup plus intensif en carbone que d’autres formes de transport. Les taux de retour élevés entraînent des coûts environnementaux supplémentaires, car les articles retournés parcourent souvent de longues distances, traversant parfois les frontières internationales pour être reconditionnés plusieurs fois avant d’être revendus ou, dans de nombreux cas, mis au rebut.
L’impact environnemental du commerce électronique est un défi complexe qui nécessite un effort concerté de la part de toutes les parties prenantes. La question qui se pose alors est la suivante : qui a la responsabilité de faire évoluer le commerce électronique vers un avenir plus durable ?
La réponse est claire : les gouvernements, le secteur privé, les consommateurs et la communauté internationale doivent tous jouer un rôle central dans l’élaboration et la mise en œuvre de solutions qui concilient la croissance économique et la gestion de l’environnement.
Les gouvernements peuvent-ils mener la charge ?
Les gouvernements sont particulièrement bien placés pour élaborer des politiques qui atténuent l’impact environnemental du commerce électronique. Leur rôle est décisif dans la mise en place du cadre dans lequel le secteur privé opère. Au niveau national, les gouvernements doivent introduire et appliquer des réglementations qui imposent des normes environnementales au secteur. Il s’agit notamment de rendre obligatoire l’utilisation d’emballages durables, d’exiger des entreprises qu’elles rendent compte de leurs émissions de carbone et de les encourager à adopter des sources d’énergie renouvelables dans leurs opérations de logistique et d’entreposage. Par exemple, des subventions ou des incitations fiscales pourraient être mises en place pour les entreprises qui investissent dans les technologies vertes, telles que les véhicules de livraison électriques ou les centres de distribution fonctionnant à l’énergie solaire.
La planification urbaine relève également de la compétence du gouvernement et doit être revue afin d’optimiser l’emplacement des entrepôts et des centres de distribution. En rapprochant stratégiquement ces installations des centres urbains, il est possible de réduire la distance que les marchandises doivent parcourir pour atteindre les consommateurs, et donc de diminuer les émissions liées au transport. En outre, les gouvernements pourraient mettre en œuvre des réglementations qui encouragent l’utilisation d’options de livraison plus lentes et plus respectueuses de l’environnement, telles que le fret ferroviaire ou maritime, plutôt que le transport aérien, plus rapide, mais à plus forte intensité de carbone.
Pour les pays en développement, où les ressources sont limitées, les partenariats de coopération pour le développement avec les organisations régionales, les institutions financières multilatérales et les partenariats public-privé peuvent être déterminants dans la mise en place de l’infrastructure nécessaire au commerce électronique durable. Il pourrait s’agir d’investir dans des sources d’énergie renouvelables, de développer des installations de recyclage et de gestion des déchets, et d’améliorer les réseaux de transport public pour soutenir des opérations logistiques plus durables. L’initiative du Kenya visant à intégrer l’énergie solaire dans son secteur logistique illustre parfaitement la manière dont les pays en développement peuvent montrer l’exemple et créer des modèles de pratiques durables à mesure qu’ils développent le secteur.
Quel rôle le secteur privé devrait-il jouer ?
Le secteur privé, en particulier les grandes plateformes de commerce électronique, a une grande influence et une responsabilité importante dans la réduction de l’empreinte écologique des achats en ligne. Les entreprises doivent montrer l’exemple en adoptant des pratiques qui non seulement améliorent leurs résultats, mais contribuent également à la durabilité environnementale.
L’optimisation des chaînes d’approvisionnement constitue un point de départ essentiel pour les entreprises qui cherchent à minimiser les déchets et à réduire leurs émissions de carbone. En tirant parti de l’analyse des données, les entreprises peuvent améliorer la planification des itinéraires, réduire le nombre de kilomètres parcourus et diminuer la consommation de carburant. Le programme d’emballage vert d’Alibaba, qui intègre des matériaux biodégradables et des emballages réutilisables, constitue un exemple convaincant de la manière d’intégrer efficacement la durabilité dans toutes les opérations de la chaîne d’approvisionnement. Un autre domaine critique est la gestion des retours de produits, qui représente une charge environnementale importante. Les entreprises peuvent adopter des politiques qui découragent les émissions excessives en supprimant les retours gratuits et en améliorant les descriptions des produits afin que les consommateurs puissent prendre des décisions d’achat plus éclairées. En outre, les entreprises peuvent rechercher des moyens de réutiliser ou de recycler les produits retournés plutôt que de les mettre au rebut lorsqu’ils ne peuvent être revendus. Le programme de recyclage de Patagonia aux États-Unis, qui réutilise les articles retournés afin de réduire les déchets et de préserver les ressources, peut servir de modèle à d’autres entreprises.
Le secteur privé doit également investir en priorité dans les énergies renouvelables pour alimenter ses activités. Plusieurs entreprises de commerce électronique ont déjà amorcé le mouvement. Par exemple, Daraz a installé des panneaux solaires sur les toits de ses entrepôts, tandis que l’engagement d’Alibaba en faveur des énergies renouvelables a permis de réduire considérablement ses émissions ; l’entreprise prévoit d’étendre l’utilisation de l’énergie solaire à toutes ses installations logistiques d’ici à 2030. D’autres entreprises devraient suivre l’exemple, en intégrant l’énergie solaire, éolienne ou d’autres sources renouvelables afin de réduire leur dépendance à l’égard des combustibles fossiles et de diminuer leur empreinte carbone.
Comment la communauté internationale peut-elle favoriser le changement à l'échelle mondiale ?
Avec l’essor du commerce électronique transfrontalier, l’impact environnemental du secteur est un problème mondial qui nécessite une réponse internationale coordonnée. Il est essentiel que les pays collaborent pour s’attaquer à l’empreinte carbone associée à la logistique, au problème croissant des déchets d’emballages et à l’intégration de l’énergie renouvelable dans les chaînes d’approvisionnement.
La coopération internationale est essentielle pour aider les pays en développement à se lancer dans le commerce électronique, en particulier à mesure qu’ils adoptent des pratiques durables dans leurs économies numériques en pleine croissance. Le renforcement de la durabilité du secteur et de la confiance des consommateurs dans les transactions en ligne est une priorité essentielle, qui pourrait être réalisée en adhérant aux principes directeurs des Nations Unies pour la protection du consommateur. Les institutions financières multilatérales et régionales peuvent également y contribuer en offrant une aide financière et technique aux projets d’infrastructure qui sous-tendent le commerce électronique et l’économie en général.
La promotion du dialogue entre les communautés de la politique numérique et de la politique environnementale est un aspect essentiel de cette coopération internationale. De telles conversations peuvent conduire à l’établissement de bonnes pratiques, telles que l’utilisation d’une logistique économe en énergie et d’un emballage respectueux de l’environnement. En encourageant l’échange de connaissances et de ressources à l’échelle mondiale, les pays peuvent collectivement trouver des approches viables pour réduire l’empreinte environnementale du commerce électronique.
Les organisations internationales ont également un rôle essentiel à jouer dans la promotion du commerce électronique durable. Elles peuvent susciter des progrès grâce à la recherche, au renforcement des capacités et à la diffusion des meilleures pratiques qui permettent aux pays d’intégrer la durabilité dans leurs politiques en matière de commerce électronique. Par ailleurs, leurs efforts en vue d’améliorer la collecte de données sur l’impact environnemental plus large du secteur, au-delà des seules émissions de carbone, sont cruciaux. En substance, une action internationale collective est vitale pour réduire l’empreinte environnementale croissante du commerce électronique.
Quelle est la position des consommateurs ?
Les consommateurs jouent un rôle central dans la durabilité du commerce électronique, car leur comportement influence grandement l’empreinte écologique du secteur. La commodité et la variété offertes par les achats en ligne ont dopé la consommation, mais les habitudes des consommateurs, telles que les achats omnicanaux et les achats fréquents, peuvent exacerber les impacts négatifs sur l’environnement. Des pratiques telles que le showrooming (furetage en magasin) et les achats fragmentés et impulsifs contribuent à la surconsommation, à l’augmentation des émissions dues au transport et aux déchets d’emballages.
Alors que le marketing en ligne encourage une culture de la consommation, les jeunes générations, en particulier la génération Z et les milléniaux, sont de plus en plus soucieuses de l’environnement, les enquêtes montrant que plus de 90 % de ces consommateurs se soucient de la durabilité de leurs achats. Néanmoins, des défis subsistent, car de nombreux consommateurs n’ont pas accès à des informations fiables sur la durabilité et sont influencés par les options de livraison rapide, qui augmentent encore l’empreinte carbone du commerce électronique.
Les efforts visant à habiliter les consommateurs par le biais d’informations transparentes, de campagnes publiques et d’incitations commerciales, telles que des emballages respectueux de l’environnement et des options de livraison plus lentes, peuvent favoriser des comportements plus durables. En fin de compte, des consommateurs informés sont essentiels pour façonner un modèle de commerce électronique plus écologique.
Programme d’action : vers un commerce électronique écologiquement durable
Les défis environnementaux posés par le commerce électronique sont considérables, mais ils ne sont pas insurmontables. Grâce aux efforts concertés de toutes les parties prenantes, le commerce électronique peut devenir un moteur du développement durable. Le programme d’action suivant décrit les étapes nécessaires à la réalisation de cet objectif :
- promouvoir de meilleures pratiques en matière de commerce électronique : les entreprises et les gouvernements doivent œuvrer de concert pour encourager les pratiques qui réduisent l’impact environnemental du commerce électronique. Il s’agit notamment d’encourager l’adoption des énergies renouvelables dans les opérations de logistique et d’entreposage, d’optimiser les itinéraires de livraison pour minimiser les émissions et de réduire l’utilisation excessive de matériaux d’emballage. Les gouvernements peuvent soutenir ces efforts en offrant des incitations aux entreprises qui adoptent des pratiques durables et en appliquant des réglementations sur les pratiques durables, y compris l’établissement de rapports sur l’impact environnemental.
Les entreprises devraient également explorer des approches innovantes pour réduire l’empreinte environnementale des retours, par exemple en proposant des essayages virtuels ou en décrivant les produits de manière plus détaillée afin d’aider les clients à prendre des décisions d’achat éclairées. En outre, les détaillants peuvent offrir des incitations aux clients qui choisissent des options de livraison plus durables, telles que des méthodes d’expédition plus lentes et moins intensives en carbone.
- encourager les consommateurs à adopter un comportement respectueux de l’environnement : le comportement des consommateurs joue un rôle crucial dans la durabilité du commerce électronique. Les campagnes de sensibilisation du public peuvent éduquer les consommateurs sur l’impact environnemental de leurs habitudes d’achat en ligne et les motiver à faire des choix plus durables. Par exemple, les campagnes pourraient mettre en évidence la réduction de l’impact environnemental résultant du choix de modes de livraison plus lents, du choix d’emballages réduits et de l’achat auprès d’entreprises qui accordent la priorité à la durabilité de l’environnement.
Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer pour façonner les habitudes des consommateurs en les incitant à faire des choix plus écologiques. En mettant en avant les produits issus de sources durables et en récompensant les options de livraison plus lentes et moins intensives en carbone, elles peuvent susciter des comportements plus respectueux de l’environnement.
Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer pour façonner les habitudes des consommateurs en les incitant à faire des choix plus écologiques.
Les gouvernements devraient également réglementer les événements d’achat en ligne tels que le « Black Friday » et le « Cyber Monday », qui favorisent la surconsommation et nuisent à l’environnement grâce à un marketing agressif. Les politiques encourageant la transparence et les modèles commerciaux durables pendant ces périodes pourraient atténuer leurs effets négatifs. Dans l’ensemble, des consommateurs informés et des entreprises proactives peuvent accélérer la transition vers un commerce électronique plus durable.
- améliorer les bases de données pour des décisions politiques éclairées : pour élaborer des politiques efficaces en matière de commerce électronique durable, les gouvernements et les organisations internationales doivent avoir accès à des données précises sur l’impact environnemental des achats en ligne. Pour ce faire, il est nécessaire d’investir dans la recherche et la collecte de données afin de constituer une base de preuves solide. Les gouvernements pourraient créer des bases de données nationales permettant de suivre des indicateurs clés, tels que les émissions de carbone provenant des opérations logistiques, la quantité de déchets d’emballages générés par le commerce électronique et l’impact environnemental des retours de produits. En outre, les gouvernements devraient exiger des entreprises qu’elles divulguent l’impact environnemental du commerce électronique.
Dans le cadre de l’initiative CODES, les organisations internationales, notamment l’Union internationale des télécommunications, l’Organisation internationale de normalisation et le Programme des Nations Unies pour l’environnement, jouent un rôle essentiel dans la coordination des efforts déployés à l’échelle mondiale pour faire face à l’impact environnemental de la digitalisation. En garantissant une collecte de données cohérente et normalisée entre les pays, ces organes permettent des comparaisons plus précises et des décisions politiques mieux informées. La constitution d’une base de données internationale robuste permettra aux gouvernements d’identifier les interventions efficaces et d’optimiser la répartition des ressources, favorisant ainsi une transformation numérique écologiquement durable.
La voie à suivre
La digitalisation a créé de nouvelles opportunités de croissance économique, en particulier dans les pays en développement. Toutefois, les coûts environnementaux de cette transformation sont de plus en plus évidents. Pour que le commerce électronique réalise son potentiel en tant que moteur du développement durable, il doit être géré de manière à minimiser son impact sur l’environnement.
Pour cela, il faut agir à tous les niveaux, des gouvernements aux entreprises, en passant par les consommateurs et les organisations internationales. En travaillant de concert, la communauté internationale peut créer une économie numérique qui soit non seulement économiquement inclusive, mais également écologiquement durable. Les conclusions du Digital Economy Report 2024 fournissent une feuille de route sur la façon dont le commerce électronique peut contribuer à des progrès durables sur le plan de l’environnement.
Pour cela, il faut agir à tous les niveaux, des gouvernements aux entreprises, en passant par les consommateurs et les organisations internationales.
Les enjeux sont importants, mais les récompenses le sont tout autant. Si nous réussissons, non seulement nous protégerons notre planète, mais nous veillerons également à ce que tout le monde partage les avantages du commerce électronique.
Shamika N. Sirimanne est la Directrice de la Division de la technologie et de la logistique de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement.
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